Homélie de Mgr Luc Ravel, évêque aux armées

Hommage national aux soldats morts en Afghanistan

19 juillet 2011 aux Invalides
lundi 25 juillet 2011.
 

(1. Le flot de nos sentiments)

C’est du cœur que partent nos paroles. Laissons notre cœur marquer d’abord nos paroles avec les sentiments qui l’habitent.

Parmi ces sentiments, il y a bien sûr une peine immense : comment ne pas être profondément et personnellement atteint par la disparition de 7 jeunes hommes et derrière eux 63 autres, fleurons de notre nation, fils de nos familles, camarades de nos unités ?

Mais dans cette peine se glissent d’autres sentiments. Car la tristesse n’arrive pas seule quand nous sommes en face de ces cercueils recouverts de notre drapeau. La douleur n’étouffe pas la palpitation de la fierté : une sobre mais grande fierté nous habite parce que ces hommes là ne sont pas décédés par accident ou de maladie. Ils sont morts pour la France. Notre admiration pour leur courage se transforme en fierté d’appartenir à ce peuple, à ce grand corps aux mille visages dont les membres sont capables de donner leur vie pour ceux qu’ils aiment. Nous avons raison d’être fiers quand notre équipe nationale triomphe sur les stades. Mais nos joueurs n’y risquent que leur réputation. Ici, nos soldats jettent leur vie devant nous. C’est là leur noblesse de soldat, c’est là notre grandeur de français.

(2. Etre militaire)

Cette noblesse du soldat nous invite à redire ce que signifie être militaire : être militaire, ce n’est pas d’abord être disponible ou même porter les armes. Etre militaire, c’est avant tout ne plus s’appartenir, ni même appartenir à sa propre famille : j’ai conscience de la dureté de ces propos en présence de nos familles éprouvées par le deuil. Etre militaire, c’est appartenir à la Nation. Exister et agir pour elle. Vivre et mourir pour elle. Et ceci nous renvoie à notre histoire.

En 1919, une énorme question c’était posée : devions-nous enterrer nos morts ensemble dans des cimetières nationaux ou rendre aux familles les corps identifiés ? La polémique fit rage. Le père Doncoeur militait avec d’autres pour que restent ensemble ceux qui avaient péri ensemble. Dans un texte intitulé « Champ d’honneur », il écrivait cet émouvant appel aux mères et aux veuves :

« Il est mort au champ d’honneur,

Vous l’enlevez du champ d’honneur

Vous lui ravissez sa gloire

Et vous vous décevez. » (Paul Doncoeur Aumônier militaire, éditions de la Loupe, pages 179)

En 1920, la France va finalement rassembler ses morts dans d’immenses mausolées dignes de l’héroïsme de ces fils. Nous ne sommes plus en 1920, mais nous restons de ces hommes fixés sur l’éternel militaire : vivants ou morts, nous appartenons à notre Patrie plus qu’à nos proches. Etre soldat ne relève pas de la sphère privée même si à la base il y a un choix personnel.

Alors que certains s’interrogent sur l’opportunité d’aller mourir pour les Afghans voire pour rien nous répondons inlassablement : c’est pour la France que nous mourons. Ici ou au bout du monde : ce n’est pas la première fois que nos soldats meurent pour la France ailleurs qu’en France.

(3. C’est un oiseau qui vient de France)

Puis-je justement illustrer ce propos avec une chanson créée en 1885 et intitulée : « C’est un oiseau qui vient de France » ? Ce chant raconte l’histoire d’un oiseau qui « dans une bourgade lointaine, vint montrer son aile d’ébène. » Le voyant virevolter au-dessus d’un territoire ennemi et dangereux, l’enfant, le vieillard puis la fillette, tous trois aux cœurs palpitant d’espérance, s’écrient successivement : « sentinelles, ne tirez pas. C’est un oiseau qui vient de France. » Ils ne seront pas entendus ainsi que le dit le dernier couplet :

« Il venait de la plaine en fleur

Et tous les yeux suivaient sa trace,

Car il portait nos trois couleurs,

Qui flottaient gaiement dans l’espace.

Mais un soldat fit feu,

Un long cri part et l’hirondelle,

Tout à coup refermant son aile,

Tombe expirante du ciel bleu. »

Et le refrain conclut :

« Il faut au cœur une espérance,

Rayon divin qui ne meurt pas,

Mais l’oiseau qui chantait là-bas,

Mais l’oiseau qui chantait là-bas,

Ne verra plus le ciel de France. »

« Il faut au cœur une espérance. » Sinon comment résister ?

L’espérance est à portée de main : sachons la cueillir au bord de notre route. Elle porte en elle la certitude de la vie qui traverse, transperce et exténue la mort. L’Espérance chrétienne, nous l’avons dans l’exacte mesure où nous sentons en nous une vie que rien ne peut arrêter, pas même la mort. Et cette espérance ne trompe pas car le Christ est ressuscité d’entre les morts.

Alors pour tous ceux qui ne verront plus le ciel de France, tenons ferme la force de l’espérance.

Amen.